Jasna Šamić: JE SENS DES PARFUMS ENIVRANTS

Publié le par Thomas Dretart

JE SENS DES PARFUMS ENIVRANTS

 

 

 Jasna Šamić, un de plus grands

personages artistiques et intellectuelles

de Bosnie-herzégovine en 20ème siècle

Jasna Samic

Jasna Šamić, poètesse, écrivaine, essayiste,

cinéaste, dramaturgue, encyclopédiste,

chercheuse multidisciplinaire, jurnaliste,

culturologue, linguiste, metteuse en scène,

Prof d'Université en France et

Bosnie-Herzégovine

 

Un de ses poèmes à paraitre tout

prochainement dans l'Anthologie

du sublimisme bosniaque et croate

chez M.E.O. Edition de Bruxelles

Jasna Šamić:   JE SENS DES PARFUMS ENIVRANTS

JE SENS DES PARFUMS ENIVRANTS

 

Le café est caché entre les murailles 

Pourvu de banquettes en pierre et de couvertures multicolores  

 

La pénombre

 

Je sirote mon thé à la menthe 

Des amandes sont dans le verre

Le vent a recouvert de sable

Les tables en pierre et a brouillé ma vue sur

Le pourpre du coucher de soleil  

 

Trois garçons enfoncés dans les coussins

 -  L'un deux au visage d'Apollon semble sorti d'une coquille –

Têtes en arrière inhalent la fumée des narguilés

Des grains de sable piquent mes yeux

Je sens le parfum de fumées enivrantes

L'eau est écumante de ces fausses gorgées 

Comme si elle bouillonnait

 

La fumée sent la pomme brûlée de Paradis

La magie fait basculer

Ma tête sur les coussins

 

Ce n'est pas de l'herbe mais du simple tabac au goût de pomme

Dit le jeune Haphaïstos des rivages de Penon

 

Gare à vous il est timide

Me chuchote l'autre garçon

Et je me rappelle:

Derrière les voiles de pudeur somnole souvent le tricéphale Cerbère 

Gardien des Enfers

 

Depuis un moment déjà le soleil est transformé 

En un ducat rouge,

La voix d'une nouvelle Umm Koulsoum

Retentit dans les hauts parleurs et

Se mêle à la voix de muezzine

Mais la chanson d'amour ardent ne s'arrête pas

Les touristes ne cessent d'inhaler les odeurs enivrantes

Ici la pomme brûlante et l'infini

Ont le même parfum 

 

 

DESERT

 

J’imagine le désert

Pas jaunâtre comme les grains de sable dans ma gorge 

Que le vent a apportés depuis la plage sous la forteresse

Mais bariolé

Tel un arc en ciel au crépuscule

 

Le Matmata ressemble à la lune

Dans un café aux deux petites tables

-  dans le Désert salé -

 Je rencontre l’amant d’Hathor

Maîtresse de la musique joie et passion

Au profil de faucon à l’image du fils

De la déesse de la magie et de la beauté

Son corps et sa tête sont couverts de voiles blancs

Son visage est la terre aride et crevassée

Qu’il n’a peut-être jamais vue

Y sont inscrits les noms des anges et des hommes

Ses yeux de couleur turquoise – deux saphirs incandescents

 

On me prend en photo avec lui

Il est le seul à ne pas demander d’argent

 

Quand je serai de nouveau dans le sable mouvant

De ma ville natale

Je me souviendrai encore de cette fleur blanche et noire sortie du sable 

Et du troupeau de chameaux

Je ne serai plus dérangée par l’ombre brûlée qui ne protège pas  

Pas plus que des portraits du président

A l’entrée du luxueux hôtel Mehari

Je penserai que Luxure et Dieu sont enlacés ici

En un baiser

Et que le désert et le paradis

Ont le même parfum 

 

 

DANS LE PARC BRASSENS

 

Dans le parc Brassens

Le cerisier japonais a fleuri

Plus somptueux qu’une houri

Qui ondule de son corps

Et agite son éventail

Rafraîchissant les oisifs du Paradis

 

Des fleurs rouges tels des flocons pourpres

Voltigent sous la brise

Recouvrent le sentier et le ciel d’avril

D’avalanches de feuillages,

Ciel comme chauffé par la lave d’un volcan réveillé 

 

Jamais la terre n’a eu cette

Couleur écarlate éblouissante

 

Sur le sentier

Une jeune mère pousse son landau sur les flocons du 

Cerisier

Y gémit sa semence qui vient de pousser

Son bébé réclamant son sein opulent

Derrière elle un vieillard  tordu aux jambes glabres branlantes 

Se dessinant sous une culotte sale

Tire sa poussette

Chargée de son âge très lourd

Et avec une pomme dedans

Il gémit comme s’il

Réclamait le sein opulent

De son enfance

 

En contrebas du parc

Au marché

Fend la foule

Une veuve jadis très puissante

Au visage de cobra

Qui embaumait de ses seins arides 

 - Entre lesquels scintillaient les dollars de son feu mari -

Les étalons importés de pays barbares

 

De ses joues coule

La poudre trempée dans la sueur

Et le rimmel

Telle la neige de la campagne piétinée et sale  

Ses lèvres comme peintes de sang coagulé

 

 

Au grand décolleté à la peau dure telle une croûte épaisse

Elle ressemble à la trompe d’un éléphant fatigué

 

Oh douleur, le temps est un joueur avide

Et le gouffre a toujours soif

 

Je voudrais dire à la passante

- Qui essaie un chemisier décolleté sur sa robe décolletée

Offrant au vendeur sa poitrine fanée

Sans voir le temps passer et ses mâles devenus fripés  -

Que je suis

Contente de rentrer dans la ville de lumières

Mais un caillot de mot s’est coincé 

Dans ma gorge

À la rencontre des lèvres et des yeux de la veuve

Au visage de cobra    

 

 

 

LE JEUNE HOMME AUX GANTS

 

Sur mon balcon

L’azalée a fleuri

Ressemblant aux fleurs du cerisier japonais du parc Brassens

Elle embellit ma journée

Et la vue sur la lugubre cour de ma prison

Dans laquelle jouent les enfants

Venus des Indes lointaines

Aux visages de Cupidon

Joyeux

Sous la froide grisaille du mois de mai

 

Ils me saluent en hindo – français

Pendant que je passe devant eux

Je vais rendre visite

Au jeune-homme aux gants

(Mon petit voisin lui ressemble)

Devant lui je suis toujours

Rongée d’un désir sans répit

  

Tout autour en plein mois de mai -

La neige

Les Tuileries sont en pleur

Comme ses gazons et les plantes non fleuries

En vain les bourgeons ont essayé de féconder le gravier de l’allée

 

Le gravier siffle telle une vipère

Telle la tzigane roumaine qui

Enveloppée d’illusions

De lambeaux et de shales bariolés

M’offre des bagues en « or »

À chaque coin du parc

Rêvant d’un Occident doré  

 

Crépitent des marrons sur la braise

Sous l’arc

Marrons chauds crie un Krishna parisien

 

Dans l’ancien palais des rois

M’attendent

Flore somnolente à la poitrine nue bordée de blanches dentelles

Et dans la tour en bronze

Danaïde débridée enfoncée dans les coussins de soie

Et la dame qui porte sa mort dans une cage en la balançant

Et la sainte débauchée qui décrit l’amour de son voluptueux corps  ondulant

Au regard nostalgique aux cheveux tressés et au sein découvert

Et Salomé avec la tête morte de Giovanni Batiste posée sur un plateau,

Qui ne tomba pas encore dans le lac glacé d’où émergeront

Ses cheveux et son visage 

Comme d’un plat argenté

 

Le jeune homme au chapeau rouge m’attend lui aussi

Le vilain Vincezo Mosti et la

Vierge au miroir  

 

Je suis pressée

 

Pressée de rencontrer le

Jeune homme aux gants

Devant lui je suis toujours

Rongée d’un désir sans répit

  

Paris change

Mais pas ma mélancolie…

Et mon désir est toujours

Plus lourd que les rocs

 

 

 

Publié dans La poésie non clssée

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