Jasna Šamić: JE SENS DES PARFUMS ENIVRANTS
JE SENS DES PARFUMS ENIVRANTS
Jasna Šamić, un de plus grands
personages artistiques et intellectuelles
de Bosnie-herzégovine en 20ème siècle
Jasna Šamić, poètesse, écrivaine, essayiste,
cinéaste, dramaturgue, encyclopédiste,
chercheuse multidisciplinaire, jurnaliste,
culturologue, linguiste, metteuse en scène,
Prof d'Université en France et
Bosnie-Herzégovine
Un de ses poèmes à paraitre tout
prochainement dans l'Anthologie
du sublimisme bosniaque et croate
chez M.E.O. Edition de Bruxelles
Jasna Šamić: JE SENS DES PARFUMS ENIVRANTS
JE SENS DES PARFUMS ENIVRANTS
Le café est caché entre les murailles Pourvu de banquettes en pierre et de couvertures multicolores
La pénombre
Je sirote mon thé à la menthe Des amandes sont dans le verre Le vent a recouvert de sable Les tables en pierre et a brouillé ma vue sur Le pourpre du coucher de soleil
Trois garçons enfoncés dans les coussins - L'un deux au visage d'Apollon semble sorti d'une coquille – Têtes en arrière inhalent la fumée des narguilés Des grains de sable piquent mes yeux Je sens le parfum de fumées enivrantes L'eau est écumante de ces fausses gorgées Comme si elle bouillonnait
La fumée sent la pomme brûlée de Paradis La magie fait basculer Ma tête sur les coussins
Ce n'est pas de l'herbe mais du simple tabac au goût de pomme Dit le jeune Haphaïstos des rivages de Penon
Gare à vous il est timide Me chuchote l'autre garçon Et je me rappelle: Derrière les voiles de pudeur somnole souvent le tricéphale Cerbère Gardien des Enfers
Depuis un moment déjà le soleil est transformé En un ducat rouge, La voix d'une nouvelle Umm Koulsoum Retentit dans les hauts parleurs et Se mêle à la voix de muezzine Mais la chanson d'amour ardent ne s'arrête pas Les touristes ne cessent d'inhaler les odeurs enivrantes Ici la pomme brûlante et l'infini Ont le même parfum
DESERT
J’imagine le désert Pas jaunâtre comme les grains de sable dans ma gorge Que le vent a apportés depuis la plage sous la forteresse Mais bariolé Tel un arc en ciel au crépuscule
Le Matmata ressemble à la lune Dans un café aux deux petites tables - dans le Désert salé - Je rencontre l’amant d’Hathor Maîtresse de la musique joie et passion Au profil de faucon à l’image du fils De la déesse de la magie et de la beauté Son corps et sa tête sont couverts de voiles blancs Son visage est la terre aride et crevassée Qu’il n’a peut-être jamais vue Y sont inscrits les noms des anges et des hommes Ses yeux de couleur turquoise – deux saphirs incandescents
On me prend en photo avec lui Il est le seul à ne pas demander d’argent
Quand je serai de nouveau dans le sable mouvant De ma ville natale Je me souviendrai encore de cette fleur blanche et noire sortie du sable Et du troupeau de chameaux Je ne serai plus dérangée par l’ombre brûlée qui ne protège pas Pas plus que des portraits du président A l’entrée du luxueux hôtel Mehari Je penserai que Luxure et Dieu sont enlacés ici En un baiser Et que le désert et le paradis Ont le même parfum
DANS LE PARC BRASSENS
Dans le parc Brassens Le cerisier japonais a fleuri Plus somptueux qu’une houri Qui ondule de son corps Et agite son éventail Rafraîchissant les oisifs du Paradis
Des fleurs rouges tels des flocons pourpres Voltigent sous la brise Recouvrent le sentier et le ciel d’avril D’avalanches de feuillages, Ciel comme chauffé par la lave d’un volcan réveillé
Jamais la terre n’a eu cette Couleur écarlate éblouissante
Sur le sentier Une jeune mère pousse son landau sur les flocons du Cerisier Y gémit sa semence qui vient de pousser Son bébé réclamant son sein opulent Derrière elle un vieillard tordu aux jambes glabres branlantes Se dessinant sous une culotte sale Tire sa poussette Chargée de son âge très lourd Et avec une pomme dedans Il gémit comme s’il Réclamait le sein opulent De son enfance
En contrebas du parc Au marché Fend la foule Une veuve jadis très puissante Au visage de cobra Qui embaumait de ses seins arides - Entre lesquels scintillaient les dollars de son feu mari - Les étalons importés de pays barbares
De ses joues coule La poudre trempée dans la sueur Et le rimmel Telle la neige de la campagne piétinée et sale Ses lèvres comme peintes de sang coagulé
Au grand décolleté à la peau dure telle une croûte épaisse Elle ressemble à la trompe d’un éléphant fatigué
Oh douleur, le temps est un joueur avide Et le gouffre a toujours soif
Je voudrais dire à la passante - Qui essaie un chemisier décolleté sur sa robe décolletée Offrant au vendeur sa poitrine fanée Sans voir le temps passer et ses mâles devenus fripés - Que je suis Contente de rentrer dans la ville de lumières Mais un caillot de mot s’est coincé Dans ma gorge À la rencontre des lèvres et des yeux de la veuve Au visage de cobra
LE JEUNE HOMME AUX GANTS
Sur mon balcon L’azalée a fleuri Ressemblant aux fleurs du cerisier japonais du parc Brassens Elle embellit ma journée Et la vue sur la lugubre cour de ma prison Dans laquelle jouent les enfants Venus des Indes lointaines Aux visages de Cupidon Joyeux Sous la froide grisaille du mois de mai
Ils me saluent en hindo – français Pendant que je passe devant eux Je vais rendre visite Au jeune-homme aux gants (Mon petit voisin lui ressemble) Devant lui je suis toujours Rongée d’un désir sans répit
Tout autour en plein mois de mai - La neige Les Tuileries sont en pleur Comme ses gazons et les plantes non fleuries En vain les bourgeons ont essayé de féconder le gravier de l’allée
Le gravier siffle telle une vipère Telle la tzigane roumaine qui Enveloppée d’illusions De lambeaux et de shales bariolés M’offre des bagues en « or » À chaque coin du parc Rêvant d’un Occident doré
Crépitent des marrons sur la braise Sous l’arc Marrons chauds crie un Krishna parisien
Dans l’ancien palais des rois M’attendent Flore somnolente à la poitrine nue bordée de blanches dentelles Et dans la tour en bronze Danaïde débridée enfoncée dans les coussins de soie Et la dame qui porte sa mort dans une cage en la balançant Et la sainte débauchée qui décrit l’amour de son voluptueux corps ondulant Au regard nostalgique aux cheveux tressés et au sein découvert Et Salomé avec la tête morte de Giovanni Batiste posée sur un plateau, Qui ne tomba pas encore dans le lac glacé d’où émergeront Ses cheveux et son visage Comme d’un plat argenté
Le jeune homme au chapeau rouge m’attend lui aussi Le vilain Vincezo Mosti et la Vierge au miroir
Je suis pressée
Pressée de rencontrer le Jeune homme aux gants Devant lui je suis toujours Rongée d’un désir sans répit
Paris change Mais pas ma mélancolie… Et mon désir est toujours Plus lourd que les rocs
|